Faut-il rappeler que le jazz, avant d’être cette musique pour initiés, fut avant tout une musique de contestation ? Que le be-bop, en particulier, fut la bande-son de l’émancipation noire américaine ? Que les hérauts de cette période, avant de remplir les cirques antiques de Lyon, Vienne et ailleurs, furent des crèves-la-faim avides de sons nouveaux, de liberté et de sensations fortes souvent artificielles ?
Si Joe Albany, pianiste blanc de génie (le préféré de Charlie Parker), avait pu nous raconter sa vie, c’est de cela qu’il aurait parlé : son amour inconditionnel de la musique, sa descente aux enfers dans les affres de la drogue, les mille et une rencontres avec ces icônes de l’Amérique qui inventaient un nouveau langage (les Mingus, John Coltrane et autres Chet Becker). Mais c’est sa fille, Amy Jo Albany, qui prend ici la parole. Et malgré l’admiration qu’elle exprime pour ce paternel fou amoureux de sa fille, leur quotidien souvent proche de la clochardisation, l’addiction permanente de son père et néanmoins son génie sèment en nous un certain trouble. Rarement la relation père-fille n’aura été si sublimement décrite avec ce personnage d’éternel adolescent qui dévorera la vie de manière trop excessive. Aucun regret ne semble transpirer dans ce témoignage, puisque Amy Jo aura toujours la conviction d’être l’unique femme de sa vie (parfois fille, parfois mère). Au-delà de la musique, c’est cette relation qui rend ce roman incroyablement fort et touchant.
Même si le jazz vous fait saigner les oreilles, ce livre, par son sujet et son style, est une des pépites de cette rentrée littéraire. Et si vous aimez cette musique, il est tout bonnement indispensable.