L’un des intérêts des sciences sociales, et qui fonde leur utilité pour tout lecteur, consiste dans le dévoilement. Lever le voile sur le monde qui nous entoure, comprendre quels dispositifs structurent nos institutions, notre économie, nos modes de vie, mais aussi notre imaginaire et nos désirs, c’est déjà – un peu – avoir prise sur le réel.
Or, quel secteur mobilise d’avantage le désir et le fantasme, que celui de la mode ? L’industrie du luxe et de la haute couture concerne une minorité de consommateurs quant aux biens qu’elle produit, qui sont destinés à quelques acheteurs fortunés. Pourtant, elle nous inonde toutes et tous de ses représentations, et modèle un pan énorme de la consommation de masse : cosmétiques, parfumerie, prêt-à-porter, magazines, etc. Là n’est pas le moindre de ses paradoxes.
L’enquête de l’anthropologue Giulia Mensitieri nous mène en terrain concret, celui des travailleurs qui œuvrent à produire et fabriquer le rêve qui s’étale sur les pages en papier glacé, dans les spots publicitaires et dans les cérémonies consacrées que sont les défilés et les fashion weeks. Au fil d’entretiens avec des stylistes photo, des petits créateurs, des couturières et des mannequins, elle fait apparaître la précarité qui caractérise la plupart de ces professions : une précarité d’autant plus acceptée par les acteurs eux-mêmes, que le fait d’y côtoyer le luxe, au quotidien, donne l’illusion d’y participer soi-même. Comment se révolter contre sa condition dans un milieu où les places sont si chères, et auquel on a tant de « chance » d’appartenir ?
Ce livre nous offre une immersion passionnante dans un univers que l’on voit partout et que l’on connaît mal. La finesse des analyses, qui s’appuient sur les théories de Bourdieu, mais aussi de Chiapello et Boltanski, font aussi de cette étude un outil de compréhension inédit du capitalisme contemporain.