Après l’inquiétante étrangeté d’une chambre d’enfant dans Panthère (Actes Sud BD, 2014), Brecht Evens, dans Les Rigoles, nous transporte dans une ville qui pourrait bien être Paris ou Bruxelles. En guise d’unité de temps, cette nouvelle bande dessinée nous plonge dans la moiteur et l’effervescence d’une nuit d’été. Au coeur de la foule de noctambules qui se presse sur les terrasses de cafés et les pistes de danse des clubs, quelques personnages en pleine crise, errant de lieu en lieu autant qu’en leur for intérieur : Jona, Rodolphe, Camille… , seront les sujets de ce récit choral. Ils se croisent, se perdent et se fondent dans cette masse de fêtards.
Les tableaux d’ensemble, pleine-page, témoignent de la virtuosité d’aquarelliste de Brecht Evens. Avec une large palette de couleurs vives, une mise en scène inventive, une profusion de motifs et d’inspirations visuelles, il rend à merveille l’agitation, la chaleur, et même l’atmosphère sonore, qui caractérisent ces scènes de vie. Ailleurs, la planche se diffracte en une multiplicité de petites vignettes où les conversations banales – de groupes d’amis, de collègues ou d’amoureux -, agissent comme autant de points d’entrée dans cette masse de bruits et de gens. De ce fond kaléidoscopique émergent les personnages principaux, s’individualisant petit à petit aux yeux du lecteur. Leur solitude et leur errance n’en ressort qu’avec plus de contraste.
Car la nuit est aussi le lieu où l’ivresse produit tous les excès et toutes les métamorphoses. Encore une fois, Brecht Evens parvient à installer une atmosphère unique, fantasmagorique, où les formes en perpétuelle mutation coïncident de manière saisissante avec le trouble qui anime les personnages. Le lecteur sera emporté avec eux jusqu’au bout de cette nuit de folie.
Cet album hypnotique et sublime nous convainc ainsi, s’il en était encore besoin, que la bande dessinée est un art à part entière ; un art de l’image autant qu’un art du récit.