Il est des ruptures qui marquent plus que d’autres. Premier amour, veille de mariage ou simple dépit amoureux, lorsque le goujat en question se nomme Kierkegaard, philosophe moraliste qui refuse de dire son nom, on peut imaginer le dépit qu’une ancienne fiancée peut avoir à son encontre. Or, c’est tout en finesse que l’auteur des Femmes du braconnier décrit le cheminement sentimental lié à cette séparation. Quinze années ont passé depuis cet épisode malheureux dans la ville corseté de rigorisme luthérien de Copenhague. Ce n’est plus seulement un deuil amoureux auquel Régine Olsen doit faire face lorsqu’elle apprend la mort de celui dont elle fut la promise. Dans ce roman chorale, chacun reste fasciné par le philosophe dont l’intelligence a marqué l’époque. L’ironie et le doute au cœur de sa pensée, tel un Socrate moderne, prendront une dimension particulière lorsqu’il s’agira de revenir sur son unique histoire d’amour, dont personne ne doute de l’authenticité. Comment comprendre alors cette rupture, lui qui partageait avec notre héroïne l’amour de la musique et de la nature ? Quel secret cache la lignée Kierkegaard, victime de mélancolie et de morts précoces ? Servie par une écriture d’une extraordinaire fluidité, ce récit d’une grande dame de la littérature française remet en lumière une fois de plus le destin de ces « femmes de ». L’ex-fiancée prend chair et devient une incarnation pleine d’humanité et de mélancolie.