Lorsque la question du viol ou des violences sexuelles commises sur les femmes arrive dans une conversation, les interlocuteurs n’ont généralement pas de mot assez fort pour condamner ceux qui les commettent, ou ce qu’il faudrait leur faire subir en guise de châtiment.
Comment, alors que les discours semblent s’accorder dans un bel unisson pour dénoncer ces violences, expliquer qu’elles touchent encore aujourd’hui, selon les estimations, un demi-million de femmes par an ? Et qu’une large majorité des victimes ne puissent et/ou ne veuillent pas porter plainte ? Qu’il y ait si peu d’inculpations effectives, et de condamnations aux assises ? Comment comprendre que certains aient pu en venir, publiquement, à comparer les déclarations des victimes, lors du mouvement #Metoo, à la délation des juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale ?
Dans cet essai précis et documenté, Valérie Rey-Robert, militante féministe et rédactrice du blog Crêpe Georgette, s’attache à déconstruire les préjugés et idées reçues sur le viol : un ensemble de représentations fonctionnant comme un système qui, dans les faits, contribue à autoriser ces violences, et à déculpabiliser les agresseurs – que cela soit en terme de sanction pénale, ou même sociale.
C’est que, comme le montre l’autrice, les violeurs ressemblent finalement assez peu à l’image que l’on voudrait s’en faire : un fou dangereux, armé, traquant les jeunes femmes dans des ruelles sombres. Un marginal, un monstre, un étranger… Bref, dans la vision stéréotypée dont est empreint l’imaginaire collectif, le violeur, c’est toujours l’Autre. De là, un revers inévitable : tout acte, tout criminel ou toute victime ne correspondant pas trait pour trait à cette conception se situent dans un angle mort, une « zone grise ». Depuis les euphémismes pas si innocents (comme la « liberté d’importuner » ou l’appellation « troussage de domestique », qui, pour dénier toute teneur criminelle à l’acte visé, additionne la violence de classe à la violence sexiste), jusqu’à la victime aux moeurs trop « discutables » pour être tout à fait considérée comme une victime, en passant par ces agresseurs que le statut et la renommée empêchent d’être poursuivis et condamnés à la mesure de la gravité de leurs actes, l’ouvrage recense toutes ces représentations qui contribuent à dénier leur réalité aux faits, et permettent à une société de continuer à s’aveugler sur elle-même, sans voir qu’elle perpétue, de manière structurelle, une forme d’oppression bien spécifique.
La force d’Une culture du viol à la française est d’être un ouvrage extrêmement bien étayé : toute une première partie de l’essai revient sur des définitions, des notions, des éléments historiques, qui permettent de clarifier ce qu’est la culture du viol, d’en retracer la généalogie, de comprendre ce qui en fait la spécificité en France.
Il démystifie avec beaucoup de justesse tout un pan de la culture française qui promeut la galanterie, l’amour courtois, ou encore le libertinage comme forme sophistiquée des relations amoureuses : elle exhibe alors l’asymétrie profonde qui gouverne les rapports de genre dans ces représentations.
L’indignation à courte vue et l’action volontariste ne suffisent pas, si l’on veut modifier en profondeur la société et les mentalités. Nous avons besoin d’une réflexion profonde et collective : et ce, moins pour faire directement la chasse aux coupables, que pour identifier et combattre les causes profondes de la domination dont participent les violences faites aux femmes. Une culture du viol à la française contribue avec brio à ce travail en cours : passionnant, argumenté et accessible à tou·te·s, il articule sa problématique spécifique à des questions plus larges, prenant part à un bouillonnement d’idées et de publications féministes dont nous ne pouvons que nous réjouir !